Viviane Baubry

Conte sur la départementale

Un 31 juillet du siècle passé, vers 20 heures, la petite famille Rabuchon s’engouffre dans le carrosse familial.

Le véhicule présente des signes d’épuisement inquiétants mais le père Rabuchon est un optimiste.

Ils sont six à s’entasser dans le véhicule essoufflé : direction les forêts vosgiennes.

4 gamins heureux de partir en vacances sont d’une sagesse exemplaire.

Maman Rabuchon a tressé avec amour de jolies couronnes de fleurs à ses 4 enfants.

Chacun a choisi son plus joli costume pour le voyage.

Lison la petite dernière est revêtue des voiles roses de la fée Diamantine,

Bibou s’est glissé dans l’apparat de D’Artagnan,

Ninette a choisi d’être une libellule très encombrée par ses ailes transparentes,

Gaspard a préféré incarner pour l‘occasion le bibendum du Bonhomme Michelin…

La voix du GPS hoquette un itinéraire

Le père très vite s’énerve contre les changements de direction proposés/imposés par le GPS.

La voix informatique change d’accent de manière intempestive et passe même d’un idiome à l’autre sans aucun ordre donné.

Dans l’énervement qui grandit Monsieur Rabuchon s’en prend à Madame Rabuchon qui n’a pas préparé assez de sandwichs au thon.

Découragée, fatiguée, Madame Rabuchon éclate en sanglots.

Les enfants derrière ont trop chaud, geignent et pleurent, ils veulent s’arrêter là, maintenant, tout de suite.

Coup de freins, coup de volant à droite, la voiture s’immobilise sur le bas-côté et laisse s’échapper une envolée d’elfes, de voiles et de fleurs tous heureux de sortir de l’habitacle surchargé.

Les enfants s’éparpillent et disparaissent dans les fourrés tandis que Monsieur et Madame Rabuchon continuent à se chamailler sur qui a fait quoi, sur la responsabilité de l’un ou de l’autre dans ce fiasco.

Les époux Rabuchon de guerre lasse s’endorment recroquevillés sur les sièges râpés de leur voiture hors d’âge.

La nuit est tombée.

Une brise fraîche caresse la campagne silencieuse.

Le GPS chantonne une berceuse en yiddish, tout est calme.

La Ninette libellule volette en cueillant des boutons d’or dans la prairie apaisée.

La lune éclaire suffisamment le sous-bois pour que Bilou d’Artagnan mène un combat à la loyale avec le grand chêne étonné d’affronter pareil adversaire.

Bibendum déroule la pente jusqu’à la rivière où il se laisse choir avec délice, l’eau y est si claire, il peut attraper les poissons avec ses dents.

Quant à la fée Diamantine elle fait des miracles avec sa baguette magique vers luisant : elle transforme toutes les feuilles en mille étincelles colorées.

Le petit bois du bord de la départementale 46b s’anime d’étonnements.

Le hibou dodeline du chef il n’a jamais assisté à pareil spectacle : quatre enfants émerveillés s’approprient la magie d’une nuit de pleine lune.

Les grillons cessent leurs stridulations pour mieux entendre les voix délicieuses des fillettes devenues magiciennes.

Les nuages complices offrent des brillances magnifiques sur les jeunes visages de ces enfants enfin libres dans cette nuit improbable.

Après avoir tant jouer, tant rit, ils finissent par s’endormir ensemble en boule comme des chatons fatigués.

Orage !

D’énormes gouttes tambourinent sur le toit. 

Les arbres tendent leurs branches au dessus d’une magnifique limousine dorée dont ils descendent très lentement, au ralenti : comme au cinéma.

Le vacarme de la pluie réveille la petite famille.

Surpris les enfants se frottent les yeux.

Les parents baillent.

Tous se questionnent en silence : qui a rêvé  ?

Dans la brume du petit matin une vieille voiture redémarre

Le GPS s’est définitivement tu.

Les couronnes de fleurs ont disparu tout comme les voiles et la baguette magique. D’Artagnan feuillette une BD et Bibendum a retrouvé la ligne !

Ce soir ils seront dans les forêts vosgiennes.

Les vacances seront belles : c’est sûr.