Les Éditions Fidel Anthelme X

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Michèle Bitton

Livres emportés

Tourner à la main la serrure de la porte de l’immeuble, une vieille porte en bois toute taguée,

trop lourde pour l’ouvre-porte électrique tiré par une chaîne antique.

Retenir la porte pour passer, ne pas oublier de la claquer et sortir dans la lumière.

Marcher devant les portes des magasins ouvertes et les portes des immeubles fermées.

Arriver devant la bibliothèque de l’Alcazar

Passer sa porte ouverte vitrée gardée par deux cerbères

qui n’aboient pas mais fouillent les sacs et les corps.

Rendre ses livres à l’avaleuse électrique.

Appuyer sur la flèche descendante d’un bouton lumineux pour appeler l’ascenseur.

Il arrive, sa porte s’ouvre toute seule, nous entrons.

« Fermeture des portes » dit la voix invisible.

Troisième étage, fin de mon élévation.

La même voix électrique prévient : « Ouverture des portes ».

Direction Fonds régional, Marseille, 19esiècle,

mon rayon préféré depuis que j’écris des livres qui l’alimentent.

Aucune porte, la circulation est libre entre les présentoirs et les étagères de livres

que j’allège de quelques titres sans atteindre mon quota : 15 livres, films ou CD

je prendraisbien quelques vers ! La poésie c’est au deuxième étage.

D’abord pousser la porte coupe-feu, les seules portes fermées de la bibliothèque,

descendre l’escalier et s’immobiliser devant un unique rayonnage

contre le mur, face au A des romans qui se prolongent et occupent tout l’étage.

Je n’emporte pas de romans, ou très rarement ; ils ne m’emportent pas non plus.

J’emporteLes petites sirènesetPressoir.

Je présente ma carte et mes livres à la machine scanneuse, démagnétiseuse, enregistreuse,

pour qu’ils soient enfin libres de quitter, pour un temps, leur demeure pour la mienne.

Pas de fouille à la sortie ; les cerbères ne s’inquiètent que des sifflements stridents

des livres magnétisés qui voudraient être emportés.

Adieu l’Alcazar de Marseille, un jourpeut-êtreje franchirai les portes de l’Alcazar de Séville,

le Palais aux mille arcades sans aucun livre pour m’emporter.

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